Forest Swords – Compassion

Forest Swords, projet musical du britannique Matthew Barnes, signe son retour avec un second opus intitulé Compassion. L’atmosphère trouble et ensorcelante est tout aussi épatante qu’elle l’était sur le précédent sorti chez Ninja Tune en 2013, Engraving.

Ce qui frappe à l’écoute de Compassion c’est la tension brute, historique, qui déteint de ces compositions à double tranchant. Duel entre une lueur qui semble émerger d’un ciel orageux pour établir une distraction salvatrice et des éléments biologiques en proie à des bouleversements constants.

Barnes explore le point d’équilibre entre l’extase et la frustration, l’artificiel et l’humain, dans une tentative de convergence entre l’opportun et l’affectif. Il en résulte une composition maintenue à flot par des entrelacs de textures synthétiques, d’enregistrements atmosphériques, de rythmes martelés qui se parent d’arrangements symphoniques.

« Comme beaucoup d’autres, avec tout ce qui s’est passé depuis que j’ai commencé à mettre au point cet album, j’ai lutté pour chercher la lumière au bout du tunnel », nous explique Barnes, « j’ai réalisé qu’il existe un pouvoir en quelque sorte à créer sa propre délivrance. Je m’inspire des nouvelles formes de communication, les meilleures comme les pires, et je pense que ces nouvelles voies peuvent nous aider à mieux transmettre nos idées. La recherche sur des futures manières de s’exprimer, de se parler, qui se plient plus facilement à nos besoins, m’intéresse vraiment. »

Les exclus laissent entendre leurs voix dans The High Flood et se laissent submerger par la paranoïa dans Panic. Une balade loin du tumulte, Arms Out,  prend des allures d’un timide cessez le feu. Knife Edge est une magnifique ode mélodique, qui nous laisse entrevoir un piano envahi par des lichens noisy. Des forces extérieures assurent la protection de l’ensemble en ruine. Le traitement sonore est impressionnant, mélangeant effets numériques, ensemble à cordes, échantillons vocaux…

Compassion s’écoute en laissant affleurer une réflexion inévitable sur le monde actuel, celui projeté par les outils de notre siècle et d’autres mondes qu’il est possible d’appréhender de façon totalement personnelle. Qu’adviendra t-il?

Bonne écoute !

Derek Gripper – One Night On Earth

One Night on Earth: Music from the Strings of Mali est un album qui détient une rare puissance mélodique. Cela est dû au vibrant hommage qui est rendu par un instrument envers un autre. Derek Gripper interprète à la guitare acoustique des morceaux de kora malienne avec habileté et précision .

Cet opus est un album de reprises de compositions légendaires de grands musiciens tels que Toumani Diabate, Ali Farka Toure, Ballake Sissoke et le violoncelliste français Vincent Segal. La kora, une harpe africaine à 21 cordes, est un instrument difficile à apprivoiser, capable d’une variété poétique extraordinaire.

Derek Gripper le décrit de la façon suivante: « la kora est l’un des instruments africains les plus complexes, un instrument capable d’effectuer des lignes de basse et un accompagnement harmonique tout en improvisant des lignes mélodiques enivrantes, créant l’impression d’entendre jouer un trio avec un seul instrument. »

La transposition des envolées lyriques de la kora à la guitare amène une teinte baroque à l’ensemble de l’album. Les phrases rythmiques dialoguent en faisant attention à chaque détail, s’entrelacent progressivement dans un sentiment de liberté désinvolte. Ce souffle musical chaud emporte avec lui tout un cortège d’odeurs exotiques entêtantes et nous emmène vers des paysages dont l’horizon lointain est offert à la contemplation.

Cette magistrale interprétation nous embrasse dès la première note, invitant notre esprit à se laisser aller à des envies d’ailleurs, de quiétude, de volupté…

Bonne écoute !

THROW DOWN BONES – THROW DOWN BONES

Le premier album éponyme du groupe anglais Throw Down Bones a tout d’une excavation souterraine des bas fonds d’outre-Manche. Sorti en 2015, ces « ossements » musicaux jetés en pâture aux oreilles du monde nous emmènent dans une virée sombre et planante où la tentation psyché a rejoint le krautrock pour une communion expérimentale haletante.

Le paysage post-industriel s’installe, gris morose d’une cité abandonnée. Exposure sonne comme la montée en puissance d’un hymne, aux rifs rebondissants, teinté de coldwave. Nous sommes emportés dès les premières minutes, le décor est posé, les murs en béton portent les cicatrices des combats contre le temps.

Our Home, The Holy Mountain nous rappelle les grandes heures du krautrock des allemands Neu!, la rythmique s’installe avec confiance et laisse une large place à des paysages sonores electronica enivrants. Les phrases de guitare accrochent nos tympans hypnotisés. En bon groupe de rock progressif, le synthé arrive à point nommé pour dialoguer avec un solo de cordes acides. Cela procure son effet sur nos cerveaux abîmés en recherche d’extase musicale.

Puis nous replongeons inlassablement dans un questionnement quant à la marche à suivre, quelle direction prendre. La pénombre brumeuse de ces endroits maudits par le capitalisme tentaculaire nous laisse entrevoir par moment des montagnes de déchets technologiques. A Premise To Action nous donne l’espoir qu’un autre avenir est possible, où une autre forme de vie reprendra ses droits.

Réalité débarrassée de toute illusion. Rêve rétro-futuriste, où le steampunk a imposé sa loi. Fête grandiose, remplie de lumières multicolores et d’installations rouillées en pleine mutation. Duel de son noise et de mélodie entêtante, Inner Lights ouvre la boîte de Pandore de manière flamboyante pour faire revivre ce monde déchu et c’est une réussite évidente.

L’histoire continue, reprend de la vitesse et semble s’être apaisée dans le titre Emitters. Les flux technologiques inertes fonctionnent à nouveau à l’aide de notre indispensable instinct biologique.

Le fil rouge chimique et énergique qui mène la danse tout le long de l’exploration de cet album reste intact. Les visions entrevues nous permettent de songer à l’espoir d’une cohésion attendue, chérie. Nous sommes, malgré tout le vacarme, enthousiastes sur le chemin parcouru.

Bonne écoute!

Nonkeen – The Gamble

Le projet Nonkeen est avant tout une histoire d’amitié entre les musiciens Nils Frahm, Frederic Gmeiner et Sebastian Singwald. Il se sont rencontrés à l’école primaire, dans les années 80, avant la chute du Mur de Berlin. Sebastian, berlinois, fait partie d’un échange de classe et rencontre Nils et Frederic dans leur école d’Hambourg. Autour de leur passion commune pour la musique et l’enregistrement sur bande, ils scellent leurs premiers émois auditifs.

Ils correspondent alors de manière intensive à défaut de pouvoir se revoir. Le Mur de Berlin tombé, Nils et Frederic rejoignent Sebastian dans la capitale allemande réunifiée et commencent à répéter ensemble. Lors d’un concert en 1997, un événement les stoppe net: des sièges d’un manège à côté de la scène se rompent et deux personnes atterrissent directement sur la scène, projetés avec fracas dans les instruments du trio.

Choqués, les trois amis quittent la scène sur le champ et prennent des chemins musicaux séparés. C’est lors d’une soirée passée ensemble courant des années 2000 qu’ils décident que le passé ne doit pas les empêcher de continuer. Ils recommencent alors à jouer en prenant leur temps, multipliant les longues sessions expérimentales, qu’ils enregistrent comme lors de leurs innocentes années. The Gamble est sorti, les compères peuvent repartir en tournée.

Avec The Gamble, dont cinq morceaux sont enregistrés avec le batteur Andreas Belfi ils livrent un album teinté de multiples influences, de la techno rétro-futuriste  en passant par le jazz, le post-rock et la musique ambient. L’entrée dans leur univers se veut magistrale, à la manière d’un trademark audiovisuel d’un film qui emprunte des scènes au passé pour recréer le présent, avec ses traumatismes et ses moments de bonheur musical retrouvé.

Le titre Saddest Continent On Earth progresse avec timidité, pour arriver à se livrer tel quel, mélancolique. La bataille en cours sur Ceramic People fige pour des instants éternels des statues de bronze en hommage à la violence de la guerre. Alors que le conflit s’enlise, Animal Farm laisse la perplexité face aux atrocités faire entendre sa voix, de moins en moins farouche.

Chaque titre de l’album contient une atmosphère unique et tous les morceaux sont liés par un fil rouge, la continuité du son magnifique du piano Rhodes, chaud et enveloppant. Le morceau Chasing God Through Palmyra, peut évoquer le moment de la libération bien sûr, mais aussi l’explosion de la musique électronique dans la scène allemande, transfigurant le krautock de Kraftwerk, celui de Neu!  en une vision minimale et hypnotisante.

The Gamble est un album qui se négocie en laissant la route de la vie se mettre en reverse, nous offrant pour la première fois les images de notre passé sous un jour nouveau et réconfortant. Le temps puisse être notre allié.

Bonne écoute !

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Colleen – Captain Of None

Captain Of None est un album issu des méandres mélodiques qui habitent l’esprit de Cecile Schott, multi-instrumentaliste française. D’une clarté intuitive, cet opus s’insinue et palpite avec étonnement au coeur d’un voyage musical sacré.

L’odyssée commence avec le titre Holding Horses, préambule introductif qui annonce la teneur des harmonies en cordes pincées, basse rebondissante tirées du son distingué de la viole de gambe, instrument né en Espagne au XVème siècle.

Chapitre un, la voix de Cecile Schott se fait entendre, murmure évocateur qui porte les boucles sonores diluées par l’artiste. Laissant de côté les notes chantantes, This Hammer Breaks nous emmène dans une danse tribale hyperspeed dont le rythme se laisse triturer sans rien trouver à redire.

Chapitre deux, le melodica fait entendre dans Salina Stars son timbre pour évoquer le retour au calme après une intense session d’ivresse entrechoquée. L’heure est à la joie dans Soul Alphabet, les préoccupations se sont envolées.

Dans Eclipse ou Salina Stars, Cecile Schott utilise les techniques de production dub en utilisant des effets d’écho, de delay sur les percussions et le chant. Cette influence lui provient de son amour pour Augustus Pablo, grand musicien et producteur de reggae et dub jamaïcain.

Bien loin d’une tentation pop évidente, Captain Of None est un album qui s’écoute comme la synthèse émotionnelle d’un univers intime.

Bonne écoute !


Colleen – Performance live à la radio KEXP

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Jeune femme jouant de la viole de gambe / Gerrit van Honthorst ; [atelier de] Gerrit van Honthorst

Ocoeur – Reversed

Reversed est la dernière production en date du compositeur et sound-designer français Franck Zaragoza aka Ocoeur. Son appétence pour le piano et la musique électronique lui permettent de combiner sa langueur assumée avec des rythmes plus industriels.

Signé sur le label alternatif n5MD qui regroupe d’autres illustres compositeurs electronica comme Arovane ou Funckarma, il exécute ses panoramas à la manière d’un ciseleur qui nervure les feuilles d’une sculpture vivante.

Cet opus laisse la part belle aux notes veloutées d’un piano qui flotte au-dessus de vagues éthérées. Le titre cristallin Aside en est l’exemple magistral. Les gouttes abstraites ruissellent, se répandent, se disloquent de façon permanente dans Progression ou Gionis.

La musique ambient est une image qu’on garde près de soi telle une impression précieuse qu’on a de cesse de ne pas oublier. Ocoeur respecte son rôle de gardien des éphémères. Il nous faut embarquer à bord du navire du temps qui passe pour suivre la trajectoire de Reversed, qui ne se laisse deviner uniquement grâce au recul sur le chemin parcouru…

Bonne écoute !


Clip officiel de Timeless – Reversed / Ocoeur – Videoclip by Gaëtan Bizien

Floex – Samorost III Soundtrack

L’artiste Tomáš Dvořák alias Floex est un compositeur d’origine tchèque de musique électronique. Il officie depuis la fin 2000 pour créer de vastes paysages sonores cinématographiques.

L’album présenté ici est la bande originale du jeu vidéo Samorost 3 qui se déroule dans un univers onirique et biomorphe, sorte de jeu de plate-forme dont Gaïa aurait pris le contrôle. La musique classique se fraye le pas à travers les cuivres jazzy pour aborder une musicalité éphémère dont le personnage du jeu doit s’enivrer avant de pouvoir continuer sa route.

Véritable tableaux des éléments, le disque se déroule avec une positivité ludique, curieuse. Elle dresse la carte d’un monde pas tout à fait perdu ni tout à fait découvert.

Floex nous livre une bande originale agréable à l’oreille, ciselée, orchestrée à souhait. Ne cherchez pas les vampires ils ne sont pas là. Partez plutôt à la cueillette aux champignons protéiformes. Samorost 3 préfigure un monde en suspension où le hang part à la conquête de la flûte avec pour allié le rythme énergique de l’IDM

Bonne écoute !


Trailer du jeu Samorost 3

Anenon – Petrol

Le musicien natif de Los Angeles Brian Allen Simon aka Anenon est le fondateur du label Non Projects. Ses performances et sa musique se situent au carrefour de la musique électronique, du jazz et des atmosphères spirituelles.

L’opus Petrol est sa dernière production en date. Celle-ci est née de sessions d’improvisations avec son collaborateur Jon-Kyle Mohr dont le thème principal est la ville de Los Angeles et plus spécialement la confrontation entre le mouvement frénétique des autoroutes et les moments de solitude au petit matin.

Cette dualité se retrouve tout au long de l’album qui oscille entre des compositions lumineuses / Petrol ou Body et des titres syncopés / Lumina ou encore Machines. 

Fruit de quatre années de travail intense, Petrol est un album qui s’écoule de façon sensitive. Il se distille un peu comme une longue rêverie aérienne où les notes de saxophone parsèment ici et là les nappes ambient synthétiques.

Le morceau Mouth est la quintessence de cet LP qui trouve sa plénitude dans le confort spacieux d’un sofa agrémenté d’un son puissant, vibrante émotion.

Bonne écoute !


Clip officiel de Body – Petrols / Anenon

Nicolas Jaar – The Network

Parallèlement à la sortie de son nouvel album Sirens, l’artiste chilien Nicolas Jaar a lancé sa radio, The Network. L’idée est conceptuelle: vous arrivez sur une page statique où vous choisissez un numéro de radio et vous vous laissez porter par l’ambiance aléatoire choisie…

Les morceaux assemblés nous font parcourir un univers vaste, alternatif, passant d’une sélection de chansons traditionnelles d’Amérique Latine /195/ à des plages musicales noises /057/, classiques ou technoïdes. La plage /333/ permet de découvrir en intégralité son nouvel album Sirens. La plage /324/ nommée Baba Vanga est tout simplement magnifique, d’une dimension céleste.

Les calligraphies en haut de l’écran permettent de couper le son, d’afficher le nom des radios ou les artwork, etc. Les conseils de lecture de l’artiste lui-même sont « de commencer par visiter les galaxies 324, 195, 108, 243, 225, 33 et de finir par la 333 ».

Bonne écoute !

Preview

Tomaga – The Shape Of The Dance

Le duo britannique Tomaga, composé de Valentina Magaletti et Tom Relleen, anciens membres de The Oscillation, ont fait découvrir récemment aux oreilles du monde leur dernier album intitulé The Shape Of The Dance.

Cette production sonore plonge aux confins d’un monde shamanique où règne une collision aboutie entre une ambiance atmosphérique noise, sombre, ésotérique et une rythmique jazz tribale sautillante à souhait..

Le voyage commence avec le titre Tuscal Metalwork, sorte d’initiation à la mescaline à l’intérieur d’une aciérie qui crée des modules pour spationautes. Le titre The Shape Of The Dance décortique sans trêve les pouvoirs hallucinatoires des visions entrevues auparavant.

La vibration A Perspective With No End, quant à elle, évoque avec douceur un retour dans la colonie spatiale, sous un ciel coloré. Le son de la basse flirte avec le xylophone tous deux entourés par de discrètes pulsations. Chaque titre possède une forte identité envoûtante qui nous emmène toujours un peu plus loin sur la planète Tomaga.

Bonne écoute !


Tomaga en live à Stellar Swamp Festival à Bruxelles en 2016